par le Dr. Yossef Marzouk,
Traduit de l’hébreu par Joe Chalom
Texte extrait du bulletin n°6 (été 2006), p.49, du Centre de Recherche pour le Patrimoine des Juifs d’Égypte, Tel-Aviv.
Mourad Farag Lichaa fut la plus éminente personnalité caraïte en Égypte dans la deuxième partie du 19ème siècle et la première partie du 20ème siècle.
Né dans une famille d’orfèvres, il accumula une immense culture à la force du poignet, recherchant l’excellence dans tout ce qu’il entreprenait. Il conquit le respect et l’estime de l’État égyptien, des grands rabbins rabbanites et des dirigeants caraïtes. Mourad Farag Lichaa eut une relation à la fois paternelle et généreuse envers son disciple et assistant, Maurice Shammas, dit Abou Farid (*). Lichaa commença à étudier le droit en autodidacte avant d’entrer à la Faculté de Droit, qui ne fut fondée qu’en 1886, quand il eut 19 ans. Elle lui décerna son diplôme d’avocat.
Le désir d’approfondir la religion juive et de préciser les différences entre caraïtes et rabbanites amena Mourad à parfaire sa connaissance de l’hébreu et à apprendre tous les secrets de cette langue et de sa grammaire.
Il écrivit des poèmes en arabe littéraire d’une grande qualité, ce qui lui valut des éloges du prince des écrivains égyptiens Ahmed Chawki. De plus, comme il était aussi journaliste et écrivain, il écrivit des chroniques journalières qui visaient à instruire le lecteur et à le guider. Mourad Farag Lichaa écrivit un livre d’enseignement du droit, qui devint l’ouvrage de référence de la Faculté de Droit du Caire. En 1901, il défendit un jeune juif de Port-Saïd, accusé de meurtre rituel, et réussit à le faire acquitter en réfutant tous les témoignages de l’accusation.
En 1901, il fut nommé à la tête de la chambre de magistrature mise en place par le Khédive Abbas Helmi, qui lui décerna le titre de Bey.
Dans la même année il fut nommé membre du conseil religieux, et conseiller législatif de la communauté caraïte d’Égypte, fonction qu’il conserva pendant de très longues années. Il écrivit en avril 1917 « Cha’ar el Khadr » livre de lois des tribunaux caraïtes ; ce livre détaille les traditions ainsi que la législation civile chez les caraïtes. Dans le livre « El Fourouk », il dégagea les différences entre les lois religieuses et le droit civil. Il écrivit aussi un livre sur le droit de succession des filles.
Approfondissant l’étude de l’hébreu et de sa grammaire, il écrivit « Mintaka Loghatayne », 5 volumes sur les rencontres de la langue hébraïque et de la langue arabe. Il écrit un livre en arabe « Tafsir al Torah » (explication de la torah) qui était destiné aux gens qui ne lisaient pas ou ne comprenaient pas l’hébreu. Il traduisit aussi en arabe deux livres de la Torah : « Les Proverbes de Salomon » et « Job ». En 1925, il écrivit « Ostaz al Ibriya », livre d’enseignement de grammaire hébraïque. Il fit aussi la critique d’un ouvrage de Mohamed Badr sur la langue hébraïque : « al kizb fi kawa’ed al logha al ébreya » (le mensonge dans les règles de la langue hébraïque).
Il écrivit « Al Yahoudia, ma’ana wa akida », sur la compréhension des fondements de la religion et des croyances juives et un autre livre sur les différences de croyances entre caraïtes et rabbanites.
La poésie constitua une bonne partie de ses œuvres. Ceci inclut la traduction du « Livre des proverbes de Salomon » dans lequel il chercha à utiliser des racines arabes identiques à celles de mots hébraïques utilisés dans la Torah. Son livre « Diwan Mourad » en 5 tomes est un recueil de tous ses poèmes.
Voici ce que Ahmed Chawki, le « prince des poètes » écrivit à propos de la poésie de Mourad Farag Lichaa(**) :
« Les poèmes de Mourad ont un charme virginal dont vous ne trouverez nulle part pareille beauté et pareil parfum, enivrez vous de ses poèmes, et si vous en abandonnez les flots rejoignez les sans hésitation, ils ne résoudront aucune calamité mais vous y trouverez la consolation que vous recherchez ».
Et finalement il écrivit une rubrique régulière dans « Al Kalim » de février 1945 jusqu’à 1956.
Mourad Farag Lichaa suivait de près les événements de la politique égyptienne et tout ce qui concernait la communauté juive en général, et caraïte en particulier.
Ses écrits prenaient quelquefois des nuances subtiles ; ainsi par exemple dans « al Nohlassate », il chercha à suggérer aux musulmans que des juifs maîtrisaient la langue arabe aussi bien qu’eux. Dans son livre « Al cho’araa al yahoud al arab » il recueillit des poèmes d’auteurs juifs écrits en langue arabe. Une grande partie de ses articles se trouve dans l’ouvrage « Makalat Mourad ».
Il mérita la confiance du grand rabbin Massoud Hay ben Shimon qui lui demanda de rédiger avec lui un livre de juridiction communautaire sous le titre « Al chakhsiya and il israïliyoune ».
Sa personnalité et son amabilité lui valurent la sympathie de grands dirigeants communautaires, et en particulier du Rabbin Nahum Effendi, « Hakham Bachi » des juifs d’Égypte. Mourad Farag Lichaa lui dédia deux livres « al cho’araa al yahoud al arabiyine » (Les poètes juifs judéo-arabes) ainsi que le second volume du « Croisement des langues », « Moultaka al loghatayne, goz’el sani ».
Durant ma visite en Egypte, en 1984, je fus très impressionné par le fait qu’alors qu’une très grande majorité de tombes juives étaient dévastées, celle de Mourad Farag était restée intacte, ce qui témoigne de l’estime qu’il avait acquise.
Mourad Farag Lichaa écrivit un livre sur la juridiction au sein des tribunaux caraïtes, qui était essentiellement une traduction et un commentaire de textes choisis, extraits du livre « Adarat Eliahou » du rabbin Eliahou Bechaytsi, édité pour la 1ère fois en 1530. Un groupe de caraïtes critiqua Mourad à propos de ce livre, et il répliqua à son tour dans « Radd e’etérad ».